De Sainte Hélène aux Açores




4000 milles pour remonter l'Atlantique

A partir de Sainte Hélène, les routes divergent. La majorité des voiliers mettent le cap sur les Antilles, poussés par les vents et les courants, avec souvent une halte dans l'archipel brésilien de Fernando da Noronha. D'autres, plus rares, remontent directement vers l'Europe.
Nous avions choisi la route directe sur les Açores.
Retourner aux Antilles ne nous tentait pas particulièrement : nous y avions déjà passé beaucoup de temps (trop dit l'équipier) au début de notre périple. Quant à la traversée retour Antilles Europe, nous l'avions déjà faite il y a quelques années.
Par contre, le jeu de la remontée directe avec passage du "pot au noir" et remontée de l'Alizé de Nord Est nous paraissait intéressant.
La route que nous avions prévue à partir des "pilot charts" était très proche de celle des grands voiliers qui remontaient d'Afrique du sud au 19è siècle. Elle prévoyait une étape de 4050 milles.
Cette route comporte quatre parties : L'Atlantique sud où souffle l'alizé de Sud Est, le passage de la Zone Intertropicale de Convergence ( le "pot au noir", célèbre pour ses calmes et ses grains) , puis les latitudes où souffle l'alizé de Nord Est et enfin la zone de vents variables à l'approche de Açores.

Première partie : l'alizé de Sud Est
Ce passage, attendu facile, ne l'a pas été : nous avions manqué l'occasion. Un alizé bien établi avait soufflé pendant plusieurs jours alors que nous étions à Sainte Hélène. L'occasion aurait été bonne de partir mais les touristes, en nous, l'avaient emporté sur les navigateurs : nous avions estimé n’avoir pas passé assez de temps dans l'île.
Au moment de notre départ, un régime de vent faible s'est établi.
Le temps est magnifique, les petits nuages d'alizé constellent le ciel : mais, si l'on veut avancer, il faut porter le spi. Dans ces conditions de vent faible, le tenir en l'air nécessite une certaine vigilance , le pilote assure mal, ce qui entraîne, pour l'équipage, beaucoup d'heures de barre.


Spi, spi, spi...


ciel du soir

Au bout d'un peu plus d'une semaine, c'est la surprise : nous perdons l'alizé.
En principe, à cette saison il aurait dû se faire sentir bien au delà de l’équateur mais il faut se rendre à l'évidence : au vent de Sud Est succèdent des vents variables, majoritairement d'ouest, de gros grains bien sombres se multiplient : Nous abordons le pot au noir, qui se trouve alors particulièrement décalé vers le sud.



Pendant une journée nous croyons avoir bénéficié d'un gros coup de chance : nos cartes de prévision montrent devant nous - au moment où nous devrions passer - une zone de calmes exceptionnellement étroite... mais très vite les prévisions changent complètement : il nous faudra plusieurs jours pour franchir la large zone de vents faibles ou nuls qui s'est installée.

Sur le "pot au noir", nous avions décidé de "jouer le jeu" : pas de moteur tant que les voiles ne battent pas. Cela nous a valu d'agréables moments de louvoyage dans le tout petit temps (5 à 6 noeuds réels) où, malgré les voiles creusées par 40 000 milles de bons et loyaux services Kendalc'h affichait ses 90% sur le fond d'un bord sur l'autre.
Il y a bien un moment, cependant, où il faut se rendre à l'évidence : plus un souffle de vent, place au moteur, nous aurons notre journée complète.


"Pot au noir"

A Proximité de l'équateur, le soleil, en cette saison est au zénith : à midi il n'y a vraiment pas d'ombre. Il nous faut veiller à protéger les instruments contre la chaleur excessive. L'eau à 9° de Cape town est bien loin : désormais notre centrale affiche 30°...


Le chapeau acheté en Colombie trouve enfin son utilité

Finalement, au bout de quatre jours, nous récupérons un petit vent de Nord Est qui va progressivement se renforcer : nous avons croché l'Alizé de Nord Est qu'il va s'agir de remonter au près.

Des grains, des calmes dans le "pot au noir", nous nous y attendions, mais l'étape nous réservait une désagréable surprise : les sargasses.
Ce sont des algues rassemblées par les courants : nous connaissions leur présence dans la partie ouest de l'Atlantique mais nous les trouvons aussi sur notre route. Elles s'organisent en nappes ou longues traînées impossibles à éviter. Elles viennent s'accumuler autour des safrans (un "bisafran" est particulièrement pénalisé) et de l'hélice.



L'effet est spectaculaire :
le bateau marchant entre 7 et 8 noeuds ralentit et plafonne autour de 5, la barre devient "lourde" et "frétille"bizarrement. Bref: il faut se débarrasser des parasites.
Au début, pensant que l'épisode n'allait pas durer : l'équipier effectuait le nettoyage en plongée sous le bateau précédemment mis à la cape (arrêté avec une voile à contre). Le 5ème plongeon fut reporté : L'aileron d'un animal fuselé de deux ou trois mètres se prélassant dans le sillage était assez dissuasif.
Le veto définitif et péremptoire (assorti de menaces diverses...) de l'équipière porta un coup d'arrêt définitif à toute nouvelle intention de plongée...
Une solution de long terme fut trouvée : arrêter le bateau "bout au vent" jusqu'à ce que les sargasses se détachent... Par moment, il fallut répéter la manœuvre quatre à cinq fois par heure !
Cela dura... neuf jours... avec, certes, quelques "clairières" de quelques heures mais... neuf jours !


(Nous aurons la consolation de savoir, à notre arrivée que Jean le Cam et Bernard Stamm qui finissaient leur course autour du monde dans les mêmes eaux à cette période avaient connu le même problème : nous étions donc en bonne compagnie !)

Ce furent des journées assez pénibles. surtout la 13ème nuit où, pour une raison connue de lui seul, le gps tomba en panne, où le pilote, à la suite d'une fausse manœuvre se mit à "dérailler"... Mais au matin, tout était rentré dans l'ordre.

Enfin nous sortons de ces maudites sargasses.
Le bateau peut reprendre sa course contre un Alizé bien établi, très fréquemment avec un ou deux ris et la trinquette (bien plate contrairement à notre génois qui, partiellement roulé, a pris un peu de ventre.) Il s'agit de près "musclé": un alizé à 18 ou 20 noeuds donne un vent apparent de plus de 25 noeuds.
Pendant trois jours, il poussera même le zèle jusqu'à fraîchir suffisamment pour nous offrir un vent apparent supérieur à trente noeuds... (Pour les non initiés, le "près" est l'allure où le bateau remonte "au plus près" du vent et s'oppose aux vagues : c'est l'allure réputée la moins confortable et c'est à coup sûr la plus contraignante pour le bateau)


Sur cette étape nous aurons plus de 16 jours de près. Le bateau s'en est particulièrement bien tiré.
Nous avions, bien sûr, centré les poids : rien sur le pont, rien sur le portique. Notre lourd mouillage ramené en pied de mat... du coup, le bateau tanguait étonnamment peu.

Nous avons pu confirmer sur une longue distance ce que nous avions déjà constaté : le 445 est capable de se sortir de la route des alizés et d'aller, sans problème affronter, sur de longues distances, des vents contraires.

Quant à l'équipage il s'adapte : l'équipier se réjouit de n'avoir plus à aller manipuler le tangon sur la plage avant. On adopte un mode de déplacement "sécurisé" (en s'accrochant un peu partout) qui fait penser aux évolutions du chimpanzé dans les lianes de sa forêt natale... pas très élégant mais efficace.
Les conditions ne sont pas toujours de tout repos : la quatorzième nuit une vague "anormale" déferle par le travers et défonce la capote, elle arrache au passage la bouée couronne . Comme ladite capote protège la descente, l'eau en profite pour pénétrer dans le bateau s'attardant évidemment sur... la table à cartes.


Peu esthétique mais efficace

Cette capote n'est pas un élément de sécurité mais elle ajoute beaucoup au confort de l'équipage puisqu'elle protège le cockpit des paquets de mer et des embruns. Dès le lendemain une réparation de fortune permet de suppléer au panneau arraché.
Nous devons cependant remercier la vague d'avoir attendu l'approche du mollisse ment du vent pour se livrer à ses déprédations. En effet, l'alizé mollit et adonne progressivement : au 22è jour , toujours au près mais "tout dessus" nous sommes en route directe pour les Açores.

Nous abordons maintenant la dernière partie de l'étape et commençons à lorgner sur les conditions qui nous attendent plus "haut".
Nos fichiers montrent qu'un jovial "comité d'accueil" semble s'être mis en place : les dépressions assez creuses semblent se succéder et affecter les Açores.
Le pas de deux entre l'anticyclone et ces dépressions qui passent nous envoie... un superbe courant de Nord-Nord-Est : en plein dans l'axe de la route, il nous faut donc, pendant près de 48 heures, sous voilure réduite, tirer un bord à 45° de la route directe en attendant que le vent adonne (devienne plus favorable) progressivement .

Au 27ème jour il passe carrément au Sud : c'en est fini du près mais c'est l'annonce de l'arrivée d'une profonde dépression circulant assez bas en latitude. Nos fichiers nous annoncent une succession de sautes de vent à 45° : intense réflexion pour les négocier au mieux en évitant de multiplier les empannages... Il faut bien avouer qu'après presque un mois de mer la réflexion tend à se faire lente.


Joli programme en perspective...

Finalement nous subissons le front froid, bien musclé, vent à plus de quarante nœuds, déluge au passage du front...au moins le bateau est rincé...


Vous avez dit front froid ?

Le dit front est suivi d'une "traîne active": des éclaircies avec un magnifique ciel bleu mais surtout des grains très fréquent avec des rafales supérieures à 45 noeuds... Bref , des conditions vivifiantes.
L'équipage se dit que Neptune a sans doute, en nous envoyant ces conditions, décidé de nous organiser un stage de réadaptation aux navigations bretonnes...


Traîne active


Quart en bas

Et puis tout a une fin : au 30éme jour le cône volcanique Pico et l'île de Faial (où se trouve Horta) se dévoilent entre deux grains.


Arrivée sur Faial

Arrivée ventée au port de Horta... mais le quai est long et avec l'aide vigoureuse de plaisanciers déjà sur place tout se passe bien. : après 4300 milles et trente jours de mer, nous voilà aux Açores.

Commentaires :

Par lalardie pierre le lundi 29 juin 2015

eh ben cette fois le tour est fait...Bravo, nous, nous avons vendus le bateau "Erreip" à St Barth et j'ai vendu ma maison de Volvic puis j'ai acheté une villa en Espagne, en Andalousie, Ghislaine n'a plus peur du roulis....On espère avoir de vos nouvelles.
Bises.
Pierre et Ghislaine

Par Marie le jeudi 16 juillet 2015

Eh bê, chapeau !! Finalement je préfère rester sur les souvenirs des alyzées sympas !!!
A bientôt !